Sonneurs de biniou à Quintin
Quelques lignes, sur un simple petit carton trouvé dans une liasse d’archives communales, permettent de voir sous un jour différent la vie des sonneurs du XIXe siècle. Certains d’entre eux, en vrais professionnels, n’hésitaient pas à démarcher de possibles clients, comme ici, à Quintin, où les « danses au biniou » rencontrent beaucoup de succès dans les fêtes. Carte


Lettre adressée à monsieur Le Méhauté, trésorier de la fête de Quintin - texte
Lettre adressée à monsieur Le Méhauté, trésorier de la fête de Quintin - texte

Lettre adressée à monsieur Le Méhauté, trésorier de la fête de Quintin - adresse
Lettre adressée à monsieur Le Méhauté, trésorier de la fête de Quintin - adresse
Quintin et toute la région au sud et l’est de Saint-Brieuc, forme le pays de la vieille. C’est l’instrument privilégié pour l’animation des noces, au moins depuis la deuxième moitié du XIXe siècle. Pourtant nous n’en retrouvons aucune trace dans les programmes des grandes manifestations citadines de la région. C’est le trio biniou, bombarde et tambour qui est le plus demandé.
[Lettre adressée à monsieur Le Méhauté, trésorier de la fête de Quintin]
Le 27 août 1880
Je viens vous faire nos offres de service pour la fête prochaine de Quintin, comme joueurs de bombarde, biniou et tambour. Nous jouons mes deux camarades et moi pour les fêtes d'Uzel et toutes les fêtes des environs. Si vous avez besoin de nos services, nous vous serons très reconnaissant de vouloir bien nous le faire savoir. Quant au prix nous nous contenterons de ce que vous donnez d'ordinaire, nous en rapportant à vous là dessus. Comptez que nous ferons tous nos efforts pour vous satisfaire, ce à quoi nous sommes certains d'arriver. Réponse je vous prie au plus vite afin que nous ne nous engagions pas pour les jours que vous nous fixerez.
Je vous présente mes humbles salutations.
Alexandre Chevalier sonneur à Uzel près l'Oust, Côtes-du-Nord
On peut être surpris de trouver une lettre de sonneur proposant par écrit ses services à un comité des fêtes. On est loin ici de l'image du sonneur breton perdu au fond de sa campagne, sans contact avec le monde extérieur, comme on nous le présente trop souvent. Si pour l'animation des mariages c'est le client qui vient contacter les musiciens, ici c'est l'inverse. Alexandre Chevalier, et c’est ce qui surprend le plus, a une démarche de véritable professionnel. On remarquera qu’il n'a pas l'air trop difficile sur ses tarifs. Il nous indique qu'il habite Uzel et qu'il anime les fêtes de la région. Ce qui correspond bien à la connaissance que l'on a du territoire occupé par le couple biniou et bombarde dans le département des Côtes-d'Armor. Territoire qui semble avoir été stable pendant près d'un siècle depuis les années 1830 jusqu'aux années 1930.
J’ai rassemblé plusieurs citations sur l’animation des danses de différentes fêtes, à Quintin pendant cette époque.
  1. Le 29 juillet 1831 est organisée la fête anniversaire des Journées de Juillet, les différents rapports du maire et des gendarmes nous apprennent que « [...] des danses au son des musettes auxquelles ont participé plus de 3 000 personnes. », la participation est sans doute un peu surestimée (c’est un rapport adressé au préfet), « une danse en rond a durée une heure sur la place de la mairie »[1], donc on dansait bien la ronde à Quintin en 1831 et quelle ambiance une ronde d’une heure !
  2. Une réunion organisée en 1842, en l’honneur d’un nommé Le Vaillant, tisserand de la ville, qui vient d’être récompensé pour son travail, réunit pas moins de 600 personnes. Les danses sont animées « [...] au son du violon et du tambour »[2].
  3. Dans la première moitié du XIXe siècle, les courses de chevaux sont très en vogue. Elles sont le prétexte pour les municipalités d’organiser des festivités cherchant « à réunir toutes les classes de la société », Quintin n’échappe pas à cette règle. En 1845, c’est encore un violon qui assure l’animation du bal champêtre qui termine la fête des Courses.
  4. En novembre 1848, la fête organisée pour la promulgation de la constitution de 1848, se termine elle par « une danse au biniou ».
  5. Le programme des fêtes de la ville annonce en 1861 : « Quadrilles exécutés à grand orchestre, après les quadrilles, ronde, bal et guedaine sur le champ de foire au son d’une bonne musique champêtre »[3]. Le compte rendu qu’en fait la presse nous permet d’en savoir un peu plus : « La danse au biniou a été très suivie et a réuni bon nombre d’amateurs »[4], mais le journaliste note la faible participation des danseurs aux quadrilles. On remarque aussi la présence d’une fanfare de la ville, c’est sans doute elle qui est annoncée comme le « grand orchestre » qui joue la musique des quadrilles. L’année suivante, les deux types de musique sont à nouveau au programme, mais cette fois c’est la musique de la ville de Saint-Brieuc qui anime les quadrilles et la presse d’écrire « [...] danse au biniou pour les vieilles danses du pays tandis que les autres sont une innovation heureuse »[5]. Visiblement la ville cherche à moderniser sa fête, les quadrilles n’ont pas été un succès, on fait donc venir l’année suivante un orchestre de la grande ville voisine pour en renforcer l’éclat.
Les sonneurs de biniou sont présent à Quintin jusqu’au début du XXe siècle pour l’animation des fêtes de la ville, comme par exemple en 1910 lors des courses cyclistes qui ont remplacées les courses de chevaux. Violon et biniou se partagent donc l’affiche des grandes fêtes municipales à Quintin, pas de trace de vielle. Les vielleux ne sont pas pour autant absents, ils assurent principalement l’animation des noces, fête familiale dont il est difficile de retrouver des traces avant l’arrivée de la photographie. Pour les grands rassemblements festifs, c’est le trio : bombarde, biniou et tambour, l’orchestre national breton [6], qui partage le plus souvent l’affiche avec un orchestre (type harmonie fanfare). Comme pour les autres fêtes de la région (Saint-Brieuc, Châtelaudrin, ...), le violon tend à disparaître des programmes dans les années 1830-40 au profit de la « danse au biniou ». Le succès de ce trio vient sans doute de la puissance sonore qu’il dégage, contre laquelle le violon ou la vieille ne peuvent lutter. Est-ce la seule raison ?
Christian Morvan.

[1] A. D. 22, 1M373.
[2] Le Français dans l’Ouest, 29 février 1842.
[3] Publicateur des Côtes-du-Nord, 10 août 1861.
[4] Id., 24 août 1861.
[5] Id., 8 septembre 1862.
[6] On voit cette expression apparaître au début des années 1830, dans Habasque, Notions historiques... des Côtes-du-Nord, 1832, vol. I, p. 295 ; Brousmiche, Voyage dans le Finistère en 1829, 1830 et 1831, édité en 1977, p. 295.


Musique Bretonne n°187, novembre 2004, pp. 40-41.


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