Les mésaventures d'un joueur de violon
Depuis les missions et les taolennoù de Michel Le Nobletz et du Père Maunoir où les sonneurs étaient régulièrement désignés comme des agents du diable, on connaît la lutte du clergé contre les sonneurs. Nous savons, grâce aux témoignages oraux recueillis au début du XXe siècle, que ce contentieux entre l’Eglise et les sonneurs perdure bien au-delà de la Contre-Réforme. Voici un nouvel épisode à verser au dossier, celui du conflit, de la fin du XVIIe siècle, entre un recteur et un sonneur de violon à Saint-Servan [1]. Carte









Annales de la société d'histoire et d'archéologie de l'arrondissement de Saint-Malo Annales de la société d'histoire et d'archéologie de l'arrondissement de Saint-Malo
Le 29 novembre 1696, le « Noble et discrept prebtre messire Simon Allain, docteur aux droits, sieur recteur de la parroisse » assigne en justice le nommé Gaufredy, « se disant tantost d'un lieu et tantost d'un autre » faisait métier de jouer « contînuellement de son violon et de sa basse ». La raison de cette assignation en justice est simple, notre sonneur joue « sur tout les festes et dimanches et pendant la grande messe, le sermon et les vespres. ».
Appel à témoins

Sont convoqués comme témoins : Janne Pinson, du village de Boisouze [2], Guyonne Leliepvre, du mème endroit, François Joly « serviteur domesticqué » du sieur Recteur, François Benoist, maitre-cordonnier au bourg, et Roberte Cuny, la femme de Jacques Lemercier, tailleur d'habits en ce lieu. Les dépositions des témoins nous permettent de connaître l'activité de ce sonneur de violon.
Le recteur messire Simon AIlain prend le premier la parole. Il dit que Gaufredy habite depuis un an chez Andrè Launay, demeurant proche de l'église et qu'il l'a entendu jouer du violon pendant qu'il célébrait la sainte messe. Le sieur Recteur lui avait fait des remontrances « par le devoir de sa charge, comme cstant contraire à la sanctification des festes et dimanches, au mespris de la religion, au scandal du public et d'un tres meschant exemple à tous les gens de bien ».
Au lieu de profiter de ces conseils, Gaufredy n'obéit pas et même s'en était «mocqué». Alors le Recteur « requis expres lesdits Launay et femme de ne point loger ni soufrir chez eux ledit Gaufredy comme un homme scandalleux et vacabond et capable de faire commettre tant de jour que de nuit par ses sortes de sonneryes quantitté de desordre par la jeunesse de sa paroisse ». En choisissant de résider proche de l'église, notre sonneur commet une erreur, ou bien il s'agit d'un provocateur qui, on le voit, se moque des recommandations du curé.

Janne Pinson dépose que le dimanche qui a suivi les noces de Jacques Legris, Gaufredy joue du violon sur le placitre de Boisouze « où il y avoït grande quantité de personnes à danser publicquement, avant, pendant et après les vespres. » Si Gaufredy sonne du violon pendant les vêpres, c'est aussi parce qu'il y a des danseurs, mais le recteur ne s’attaque qu’au meneur. Est-ce que supprimer le violon c’est supprimer la danse ?
Le serviteur du recteur, François Joly, dépose à son tour. Il déclare que passant le dimanche précédent par le village du Rocher à l'heure des vêpres, quand il entend un violon et un hautbois ou bombarde qui jouent dans une allée basse; il entre et trouve quantité de personnes qui dansent. Il ajoute qu'étant sorti de l'église un dimanche après l'élévation de la Grand-Messe, dix mois plus tôt, il a entendu jouer de la basse chez André Launay. On remarque sur cet intéressant témoignage que le serviteur du recteur n'assistait donc pas aux vêpres, à moins qu’il ne soit sur ordre du recteur à espionner le sonneur.
Roberte Cuny, quant à elle, a entendu le prévenu jouer, tant de jour que de nuit du violon et de la basse.
Une sentence pour le moins sévère

I.'information étant close et les témoignages étant nettement et unanimement accusateurs, il ne reste plus au Sénéchal qu'à rendre son jugement, ce qu'il fait trois mois après, le 28 février 1697. En voici la sentence :
« Partye ouyes, en conséquence de ce quy est appris et justiffié par ladite inferrnation, lesdits deffandeurs ont esté condamnez en soixante-douze sols d'amande applicables à la fabrice de cette parroisse de St-Servan aveq deffense de jouer du violon ny autres instrumens, ny de tenir dances publicques pendant le divin service a peine estre procédé contreux suivant la rigueur des ordonnances de Sa Majesté, arrests et reglemens de la Cour, et outres iceux deffandeurs condemnés aux despans taxés, sur la veuë des pièces à la somme de quinze livres compris le retrait coppie et signiffication de la presente sentence, laquelle sur le réquisitoire dudit procureur fiscal sera publiée au prosne de la paroisse dudit St-Servan et pour exploits commission décernée a tous huissiers et sergents le premier requis. »
Un document précieux

Cette sentence est quelque peu sévère, convenons-en; mais on ne plaisante pas au XVIIe siècle avec l'observance des prières dominicales. Notre recteur profite sans aucun doute de ses sermons de la messe du dimanche pour rappeler à l’ordre ses paroissiens, contre le sonneur.
Ce précieux témoignage nous montre que le violon fait bien danser les gens du peuple à la fin du XVIIe siècle en Bretagne. L’association ici mentionnée d’un violon et hautbois est assez rare, on en retrouve plusieurs traces dans des comptes rendus de fêtes révolutionnaires un siècle plus tard.
On note aussi qu’il est signalé que Gaufredy joue du violon et de la basse, joue t-il donc de deux instruments différents ? Né en Italie au début du XVIe siècle de l’évolution des instruments de la famille des violes et des lyres, le violon fait partie d’un ensemble d’intrument qu’il est encore difficle de définir précisement à l’époque qui nous intéresse ici. Le terme basse peut correspondre à plusieurs instruments violon alto, violoncelle, mais aussi des instruments de la famille des violes, on est par contre certain qu’il ne s’agit pas d’une basse électrique ! On remarquera que cette utilisation d’une basse permet à notre sonneur de ne pas pratiquer uniquement une musique de soliste, mais aussi de composer une musique orchestrée à plusieurs voix.
Christian Morvan.
[1] Texte repris de : HAIZE (Jules), Gestes de nos ancêtres, mésaventure d'un joueur de violon (1696), Annales de la société d'histoire et d'archéologie de l'arrondissement de Saint-Malo, t. X, 1912, pp. 69-71, [Haize ne donne pas véritablement de source, mais uniquement archives de Saint-Servan, il serait intéressant de retrouver le texte original pour bien vérifier la transcription].
[2] De quel bourg s’agit-il ? Bazouges ?

Musique Bretonne n°189, Mars 2005, pp. 14-15.

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