Discographie 2005, Bilan et perspectives
Régulièrement recensée dans ces colonnes, la production discographique bretonne se traduit aussi en chiffres. Alors que le monde du disque est en pleine mutation, il n’est pas inintéressant de se pencher sur le bilan de l’année 2005. Sorties, ventes, distribution, quelles conclusions faut-il tirer de l’apparent fléchissement du marché ? graphique production discographique
Après des années fastes, de 1998 à 2002, avec une moyenne de 170 sorties par an, on est depuis 2003 sur un rythme annuel de 137 sorties, bilan qui reste remarquable mais qui, si cette tendance se poursuit, confirme cependant un recul de 25 %. Dans le détail et par genre musical, et ce n’est pas une surprise, c’est dans la catégorie des groupes de fest-noz que cette baisse est la plus sensible, avec une chute de 35 %.
Chez les producteurs, on remarque la quasi disparition de l’implication des grandes majors et de leurs labels, passant de 51 sorties en 1998 à 14 en 2005. Les deux producteurs historiques bretons, Coop Breizh et Keltia Musique, restent stables, la Coop Breizh restant le premier producteur régional avec en moyenne une dizaine de productions par an. On remarque cependant que le nombre de nouveautés est à la baisse, remplacées par des compilations. Keltia Musique joue peut-être plus la carte du producteur artistique avec des productions (nouveautés et compilations) plus ciblées. La baisse est, par contre, beaucoup plus sensible chez les petits producteurs comme An Naër Produksion (pas de production cette année), L’Oz (deux sorties en 2005 contre six en 2000), Kerig (absent en 2005 alors que l’on notait une moyenne de cinq sorties annuelles). C’est donc les petits producteurs qui semblent avoir le plus souffert de cette baisse d’activité. De leur côté, le réseau associatif et les autoproductions représentent les trois-quarts de la production annuelle, prenant une part de plus en plus importante. Saluons, en 2005, la progression de Dastum et de ses antennes avec sept sorties (quatre pour Dastum Bro-Dreger). Comme nous le déplorions déjà dans le précédent bilan, nous ne possédons pas de chiffre des ventes, il est donc impossible d’estimer l’impact de la baisse du nombre de sorties. Cependant, il semble inévitable que cette baisse se traduise aussi par une diminution du chiffre des ventes, d’autant plus que généralement ce sont les majors qui réalisent les plus grosses ventes. Cette baisse est d’ailleurs à inscrire dans un contexte de baisse globale des ventes des CD dans le monde, d’environ 10 % par an depuis trois ans, même si l’année 2005 semble marquer une légère reprise.
La place des artistes bretons

Les artistes bretons apparaissant dans les classements des meilleures ventes [1] restent rares ; seul Tri Yann apparaît régulièrement à chaque nouvelle sortie d’album. Ces dernières années, c’est le seul groupe classé “talent confirmé” pour avoir obtenu deux disques d’or (classement qui regroupe 160 interprètes). A titre d’exemple, l’album "Marine" était classé à la 16e place au mois de septembre 2003. On trouve également Dan Ar Braz et "L’Héritage des celtes", double disque d’or (200 000 exemplaires vendus) en 1997 et, un peu sur le même profil, Alayn Simon avec "La Légende des celtes", disque d’or en 1999. Dans les classements d’albums apparaissent aussi Alan Stivell, Denez Prigent, Matmatah, Merzhin, Soldat Louis et Didier Squiban. On peut aussi ajouter l’album de Carlos Nuñez "Un Galicien en Bretagne", classé 63e en mars 2003. Cette année, deux productions de la Coop Breizh sont prises en compte dans ce classement : l’album du bagad de Lann-Bihoue, classé 183e au mois d’août avec "Swing à Kerbagad" (le bagad avait déjà été classé en 2002 à la 103e place avec Fromveur), et Gilles Servat, avec "Sous le ciel de cuivre et d’eau", classé 92e en juin 2005. On remarque que finalement, d’un point de vue discographique, la vague des années 1990, mise à part l’éclosion nationale de Denez Prigent, a surtout remis en selle des artistes issus du précédent renouveau des années 1970.
Des scènes trad’ trop frileuses ?

Constatant ce phénomène, Jean-Pierre Pichard, organisateur des évènements les plus importants de la scène bretonne (Festival de Lorient, Nuit Celtique), déclare “On n’a pas encore vu de nouveau Dan Ar Braz, de Tri Yann, d’Alan Stivell… La Bretagne a beaucoup de musiciens mais peu d’artistes ”. Pourtant, si l’on écoute les productions discographiques de ces dernières années, on ne peut être que surpris par une telle affirmation. En effet, plusieurs productions discographiques comme celles de Roland Becker, d’Erik Marchand & Rodolphe Burger, d’Obrée Alie, de Bugel Koar, Hamon-Martin Quartet… n’ont, à mon sens, pas encore la place qu’ils méritent sur les scènes de Bretagne ou d’ailleurs. Or, on sait bien que pour qu’un disque fonctionne, il faut qu’il soit couplé à des concerts, soutenu par la presse, l’ensemble formant un tout. Au passage, on remarque que Denez Prigent a été révélé au grand public lors d’un festival rock (Transmusicales de Rennes), idem pour la rencontre Marchand et Burger, que l’on a vu sur cette été sur deux scènes rock nationales (Art Rock à Saint-Brieuc et Vieilles Charrues à Carhaix). Le réseau habituel des grandes fêtes traditionnelles régionales est finalement assez en retrait : ne serait-il pas bon que les scènes traditionnelles bretonnes prennent un peu plus de risques, qu’elles osent ?
Du côté de la distribution

Dans le domaine crucial de la distribution du disque, pas de changement, la Coop Breizh est le principal distributeur de CD breton, presque en situation de monopole, Keltia Musique se concentrant sur le monde celtique (Irlande, Ecosse, etc.). On remarque que la Coop Breizh diversifie son catalogue avec des incursions vers la chanson, les musiques rock et électroniques avec le Label Avel Ouest, mais aussi vers des musiques plus lointaines comme ces références du Canada ou d’Amérique du Sud. A remarquer cette année, la création du site Internet Jamlabel, qui propose la vente en ligne (morceaux par morceaux) avec un tarif moyen d’un euro. Le site est très bien fait, avec un bon catalogue de musique bretonne et des infos (actualités, portraits de musiciens). Ce moyen de vente sera-t-il un jour une alternative aux difficultés de la distribution pour les petites éditions ? La part des ventes réalisée par ce type de site est encore marginale, mais semble bien se développer, la vente massive de baladeur MP3 favorisant cette pratique. Cette évolution amène inévitablement à la question suivante : en musique bretonne comme pour les autres genres musicaux, le support CD a-t-il encore de l’avenir ?
Christian Morvan.
[1]Source site du SNEP (Syndicat Nationale de l’Edition Phonographique), www.disqueenfrance.com


Musique Bretonne n°195, mars 2006, pp. 44-45

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