Dom Capitaine, moine et joueur de violon
Parmi les nombreux témoignages évoquant la pratique du violon en Bretagne au début du XVIIIe siècle figurent les minutes d’un procès impliquant un bien curieux personnage. En 1727, Dom Capitaine, moine cistercien de l’abbaye de Bégard, est jugé pour sa conduite scandaleuse : bravant les interdits, il a fait usage de son violon pour faire danser les jeunes gens, et ce jusqu’au sein même de l’abbaye ! Carte

Manuscrit de Jean Le Normand prieur de l’abbaye de Begard, 1727
Manuscrit de Jean Le Normand prieur de l’abbaye de Begard, 1727

Imprimé du même mémoire, AD 22 H92. Imprimé du même mémoire, AD 22 H92.
L’affaire Dom Capitaine est jugée à Rennes en 1727, où elle fait grand bruit. En consultant le mémoire destiné à Frère Jean Le Normand, prieur de Bégard, pour servir le procès Dom Capitaine, on en apprend un peu plus sur les péripéties qui ont values au moine de se retrouver sur le banc des accusés.
[…] il passait la meilleure partie de son temps à la chasse […] comme les devoirs de la vie monastique n’étaient pas de son goût, il suppléa au plaisir de la chasse qui lui était interdit, par celui d’un violon qu’il raclait à toutes les heures du jour; instrument assez peu convenable dans des maisons régulières où doit régner le silence et le recueillement. Cependant, comme le violon est de lui-même un instrument assez innocent, il n’y avait pas lieu de lui en faire un reproche, s’il n’en avait pas fait un usage criminel en s’en servant dans les campagnes pour y faire danser les jeunes paysannes. […] Après souper, il sortait et allait aux métairies voisines sonner de son violon, pour divertir les garçon et les filles, les valets et les servantes, au grand scandale de cette maison […] Il allait encore dans la maison abbatiale jouer du violon pour faire danser les femmes et les filles qui s’y trouvaient […] J’atteste encore, que sa conduite dans le dedans de la Maison était si scandaleuse et irrégulière qu’il aurait passé les jours et les nuits à jouer de son violon dans sa chambre si on le lui avait permis.
[Dom Capitaine est renvoyé de l'abbaye Langonnet pour Bégard, sur la route...]
En s’allant d’ici, le 4 octobre 1721, il passa par la trêve de Kerpers, à une demi lieue d’ici, pour dire adieu au curé, et après avoir bu au cabaret trois bouteilles de vin, il se mis à jouer de son violon pour remercier Dieu de la grâce qu’il lui avait faite de dire la messe ce jour-là dans ce lieu [...].
Lors de son procès il reconnut volontiers :
qu’il jouait à toute heure de nuit et de jour de son violon qu’un soir après souper, il fit danser deux capucins au son de cet instrument […]. [1]
Dom Capitaine est un personnage digne des romans de Rabelais : chasseur, moine paillard, buveur, coureur de jupon et joueur de violon. Au passage, on se demande ce que peuvent faire dans l’abbaye les jeunes filles qu’il fait danser. Ce mémoire nous montre une nouvelle fois que le violon n’est pas un instrument inconnu en Bretagne au début de XVIIIe siècle [2]. Si seulement notre moine jouait des cantiques sur son instrument « comme le violon est de lui-même un instrument assez innocent », il n’y aurait pas d’offense. Mais, il en fait un usage « criminel » en faisant danser. Le témoignage qui nous est fourni ici est très précis, c’est le petit peuple de la campagne, les valets et les servantes que notre moine fait danser.
La lecture de ce document ne nous fait pas conclure pour autant que le violon est l’instrument principal d’accompagnement de la danse, ni que les moines remplaçaient les sonneurs. Le fait de retrouver un moine dans un rôle de sonneur n’est qu’anecdotique. Cette déposition permet seulement de remarquer que le violon est connu et qu’il a pu être utilisé pour accompagner la danse, dès le début du XVIIIe siècle. Reste à déterminer si ce document ne relate qu’un fait isolé ou une pratique plus habituelle ?
Ce n’est que l’accumulation de ce type de témoignage qui nous permettra une vue plus précise de la pratique instrumentale sous l’Ancien Régime en Bretagne.
Christian Morvan.
[1] AD 22, H 92 ; repris par Le Goff (Hervé), Bégard [...], Guipavas, Kelenn, 1980, pp. 126-131.
[2] Voir : Les mésaventures d'un joueur de violon [Saint-Servan, 1696], Musique Bretonne, n° 189, 03-04/2005, pp. 14-15.


Musique Bretonne n° 198, Septembre 2006, p. 33.

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